Jacques est le fils naturel de Marie. Naturel ?! Parce que les autres sont « artificiels » ?! Mais non, « naturel » ce n’est pas un gros mot, ça veut simplement dire qu’un de ses deux parents n’est pas connu. Pour Jacques, et c’est le cas le plus fréquent, seule sa mère est connue.
Jacques est né en 1829, à Pusignan (dans l’Isère à cette époque) ; il est le fils de Marie. Aucun autre renseignement que son nom de famille n’est donné sur Marie : pas de profession, pas d’âge, pas de lieu de résidence, rien. Dans la marge, aucune mention de reconnaissance. Marie n’a donc probablement pas reconnu son fils (il est toujours possible que ce soit un oubli de la part de l’officier d’état civil). La reconnaissance de la mère donnait à l’enfant des droits de succession, ce qui n’était pas le cas par simple déclaration sur l’acte de naissance. Il n’est pas fait mention dans les tables décennales suivant la naissance de Jacques d’un acte de reconnaissance mais encore une fois cela peut être un oubli. Dans les registres des enfants abandonnés de l’Hôtel-Dieu et de la Charité de Lyon (recherche nominative sur le site des archives municipales de Lyon), pas de traces de Jacques. Il n’a donc à priori pas été abandonné et a vécu certainement son enfance avec sa mère.
Un autre enfant, Jean, né deux ans plus tôt, est également issu d’une Marie (même nom de famille). Serait-il un frère de Jacques ? Difficile de le dire car dans l’acte de naissance de Jean, Marie est dite « de Saugnieux » et « domestique » sans autre précision.
Peu d’information donc sur l’enfance et la jeunesse de Jacques mais il est probable qu’il ait vécu jusqu’à son adolescence au moins avec sa mère.
En 1861, on le retrouve comme domestique chez la famille Quinon à Vénissieux (dans le Rhône). Deux ans plus tard, il est au service de la famille Cournioud où il rencontre sa femme, Benoite. Dans leur acte de mariage, en 1863 à Vénissieux, Jacques est dit « enfant naturel », confirmation, s’il en est, que sa mère ne l’a pas reconnu, de Marie « dont l’existence et le domicile sont inconnus ». Jacques n’a donc à priori plus aucun contact avec sa mère puisqu’il ne sait dire à l’officier d’état-civil où elle habite, peut-être est-elle décédée d’ailleurs. Dans l’acte de mariage il est également fait mention d’un contrat de mariage, pièce intéressante pour avoir plus de renseignements. Je l’ai consulté et, sans grande surprise, il ne contient pas plus d’information sur la filiation de Jacques ni sur sa mère. Marie est aussi dite « sans domicile ni résidence connu en France ».
Jacques et Benoite reconnaissent un enfant lors de ce mariage, la petite Joséphine, mon ancêtre, née trois ans plus tôt. Comme quoi, la pomme ne tombe jamais bien loin de l’arbre… Mais là, je m’égare. Ils ont eu deux autres enfants. Jacques décède en 1900. A-t-il revu sa mère entre temps ? Lui a-t-elle manqué ? Je ne le saurai probablement jamais. Comme le nom de son père d’ailleurs.
Les enfants naturels, au XIXème siècle, sont plutôt issus de milieu modeste, la maman étant le plus souvent domestique, journalière, blanchisseuse, etc. La plupart de ces enfants nés hors mariage naissent en ville et prennent généralement le nom de la mère qui est le plus souvent connue alors que le père n’est pas déclaré. Il y a parfois quelques indices dans l’acte de naissance mais, depuis le XIXème siècle, l’officier d’état civil et le prêtre lors du baptême sont enjoints à ne pas révéler d’indices ou encore moins le nom du père même s’il leur est connu. Il y a parfois tout de même quelques pistes pour le retrouver mais ce n’est pas le but de cet article.
Qu’en est-il de votre arbre si ce cas se présente ? Eh bien toute une branche ne sera pas remplie. Cette année d’ailleurs Heredis a ajouté une nouvelle fonction, « père introuvable » ou « mère introuvable ». Celle-ci permet de savoir au premier regard qu’il n’y a pas plus d’ancêtres à rechercher pour cet individu et de connaitre le réel avancement de son arbre (rapport ancêtres trouvés / ancêtres trouvables). C’est donc une problématique souvent rencontrée par les généalogistes.
Jacques a vécu sa vie d’adulte visiblement sans sa mère et j’ai voulu donner ici son point de vue, le point de vue de l’enfant. Il s’en est plutôt bien sorti je trouve pour un enfant naturel, n’est-ce-pas ?
Source principale : L’enfant abandonné : résoudre l’énigme, Myriam PROVENCE, éditions autrement, 2010