S comme Sophie

Je vous ai parlé plus tôt dans le mois de François, fils naturel. Cette fois, je vais me placer du point de vue de la « fille-mère ».

D’abord, qu’est-ce qu’une « fille-mère » ? Aujourd’hui on dirait plutôt « mère célibataire ». Mais être parent en dehors du mariage au XIXème siècle n’a pas du tout la même signification qu’aujourd’hui. Ce n’était juste pas pensable, déshonorant pour certaines familles. Parfois les « filles-mères » se mariaient, parfois avec le père de leur enfant. Mais d’autres fois, elles abandonnaient leur progéniture.

Sophie est née en 1818 à Divonne-les-Bains, dans l’Ain. Quand son père décède, elle n’a que 17 ans. Peut-être que cet événement a fait basculer sa vie, je ne le saurai jamais. Au recensement de 1836, un an plus tard, elle n’habite déjà plus avec sa mère et ses frères et sœur.

Pas de nouvelles d’elle jusqu’en 1842. Elle est domestique au 9 rue de la Vieille Monnaie dans le premier arrondissement de Lyon. À 24 ans, elle accouche de son premier enfant dont elle ne déclarera pas de père, chez une accoucheuse de son quartier. Le soir-même, elle dépose son enfant, auquel elle donne le prénom d’Élisabeth, dans le tour de l’hospice de la Charité. Elle lui laisse « pour layette un bonnet tulle noir doublé de satin noir, un drapeau toile, un lange gris en futaine et une bande toile ». À priori elle ne reverra jamais sa fille.

Puis je la retrouve en 1844 au 2 rue des Pas Étroits, toujours dans le même arrondissement, et encore domestique. Elle accouche d’une seconde fille, toujours « sans père », chez une autre accoucheuse. Cette fois elle l’abandonne deux jours après sa naissance. Elle a 26 ans et ne la reverra pas non plus.

Puis, en 1846 elle accouche une troisième et dernière fois d’un fils, Jean, à l’hôpital de la Charité. Elle l’abandonne lui aussi, le jour-même. À ce moment-là elle est cuisinière au 1 place Boucherie des Terreaux. Encore une fois, elle ne le reverra pas.

Dans aucun recensement je ne la retrouve aux adresses indiquées, même en 1846. Elle a certainement beaucoup déménagé. Était-ce à cause de ces grossesses ? Était-ce à cause du ou des père(s) ? On ne va pas se mentir, il y a une possibilité pour que les pères soient ses employeurs « du moment ». Mais la réalité est peut-être toute autre.

Ces renseignements, trouvés dans les registres des enfants abandonnés de Lyon (disponibles sur le site des archives municipales) et dans l’état civil (idem), nous permettent uniquement d’émettre des hypothèses.

Sophie, même si elle ne figure pas sur le recensement de Divonne en 1846, a fini par rentrer chez sa mère. Elle y est décédée en 1847, à l’âge de 28 ans seulement. C’est son frère ainé, François, qui a déclaré le décès. Comment a-t-elle été accueillie à son retour ? Leur a-t-elle dit pour ses trois enfants ? A-t-elle pris de leurs nouvelles ?

Trois grossesses en quatre ans, pour une jeune fille, célibataire, loin de sa famille, ça n’a évidemment pas dû être facile. Sans parler des circonstances. Car même si on ne les connait pas, rien n’empêche d’imaginer le pire. C’est parfois triste la généalogie, surtout quand on a de la tendresse pour certains. On pourrait penser que l’histoire de Sophie est une histoire assez banale finalement mais elle est aussi touchante. Imaginer cette jeune femme accouchée trois fois, dans la douleur et dans la solitude, prenant la décision d’abandonner ses enfants, et finalement revenant chez sa propre mère pour y mourir peu de temps après… Mais il ne faut pas s’arrêter au passé et aller de l’avant. Et en l’occurrence, l’avant dans cette histoire, c’est la petite Élisabeth, sans qui je ne serai pas là aujourd’hui.

S Comme Sophie
tour d’abandon de l’hôpital de la Charité de Lyon (ancien musée des Hospices Civils de Lyon)

Cet article a 2 commentaires

  1. Dominique C

    Est-ce que c’est elle qui a donné un prénom a ses enfants ? il semble que oui pour Elisabeth, dans ce cas pourquoi Elisabeth ?
    Je l’aime bien aussi; je ne sais pas pourquoi mais je me demande comment elle a voyagé de Divonne à Lyon, et in versement, sachant qu’elle était peut-être malade pour ce deuxième et dernier voyage.
    On peut imaginer plein de choses …

    1. Carole Croze

      Je me suis dit la même chose concernant son dernier voyage pour Divonne.
      Concernant le prénom d’Élisabeth, je ne sais pas car, à ma connaissance, pas d’Élisabeth parmi ses sœurs, tantes ou aïeules. Mais il semble effectivement qu’elle ait elle-même donné les prénoms à ses enfants.

Laisser un commentaire