J’ai commencé ce challenge AZ avec l’acte le plus ancien que j’avais, je le finis (presque) avec le décès le plus loin. En effet, Joannès Émile Victorin est mort à plus de 12 300 km de chez lui !
Victorin est né à Nozières, en Ardèche, en 1885, de Marie Pierre Régis et Marie Joséphine Mélanie. Il est l’ainé d’une fratrie de six. Malheureusement, deux d’entre eux meurent en bas âge. Il a certainement dû aller à l’école et y être bon élève car il devient comptable. Il sait donc lire, écrire et compter, comme le confirme sa fiche matricule.
Pour une raison inconnue, Victorin s’engage volontairement dans l’armée de terre, un an avant son recrutement. À la fin de ses trois années de service, il entre dans la réserve de l’armée active. D’après mes recherches (mais sans en être sûre pour l’instant), sa mère est décédée pendant qu’il était engagé. Peut-être est-ce pour ça qu’il rempile en 1908, un an après être revenu, pour une durée de cinq ans.
Entre ses deux sessions à l’armée, il va avoir une multitude d’adresses. Pour la seule année 1907 et pour ce qu’en a su l’administration de l’armée, il n’a eu pas moins de quatre résidences différentes. La première à Annonay puis les trois suivantes à Lyon. Pas moyen de le retrouver dans un recensement.
Il arrive au corps du 24ème Régiment d’Infanterie coloniale le 16 avril 1908. Puis, peu de temps après être devenu sergent, il passe au 23ème Régiment d’Infanterie coloniale en décembre 1912. Ces deux régiments ont servi au Maroc avant qu’il ne devienne un protectorat français. Il y a donc de grandes chances pour que Victorin ait été soldat là-bas. Malheureusement, les Journaux de Marches et Opérations des troupes françaises ne sont en ligne que pour la période de la première guerre mondiale, je n’ai donc pas pu retracer avec précision tous les mouvements et les actes des différents régiments dont il a fait partie.
Quelques mois avant la fin de son contrat d’engagement, Victorin le renouvelle pour une durée de trois ans, soit jusqu’en 1916. Il passe la même année au 1er Régiment de Tirailleurs Tonkinois (RTT) et le suit à Quang Yen, au Vietnam. Le 1er RTT a été créé en 1884 et sera dissous en 1945 à Hanoï, alors encore capitale de l’Indochine française. Les tirailleurs étaient des fantassins des unités légères d’infanterie mais historiquement ce sont qui tirent sans ordre, de façon à harceler l’ennemi, à le « tirailler ». Quang Yên est situé au nord du Vietnam, dans la partie autrefois appelée Tonkin, l’une des six de l’Indochine française.
Toujours est-il que Victorin ne restera pas très longtemps à Quang Yên, un an tout juste, car il meurt le 17 octobre 1914, à l’hôpital militaire de la ville. Il n’est pas mort au combat, il n’est donc pas officiellement mort pour la France. Cela dit, la cause de son décès est précisée sur sa fiche nominative, consultable dans la base de données « mémoires des hommes » : il est décédé d’un accès pernicieux. Quésako ? On l’appelle aussi cerebral malaria dans les pays anglo-saxons ou neuropaludisme car c’est une forme grave du paludisme qui se manifeste entre autres par des convulsions et des troubles de la conscience. Dans son acte de décès, consultable sur le site des ANOM (Archives Nationales d’Outre-Mer), les deux déclarants sont des infirmiers de l’hôpital militaire, un sergent et un soldat. Sur ce même site on peut d’ailleurs trouver la décision du ministère des colonies et de son comité des travaux publics des colonies qui autorise la construction de cet hôpital à Quang Yên en décembre 1890. C’est donc un établissement assez récent mais qui n’avait sûrement pas beaucoup de moyen et qui a dû soigner Victorin avec les connaissances de l’époque.
Voilà comment Victorin est mort à 12 316 kilomètres de son village natal.