L’histoire de Régis a déjà été retranscrite plusieurs fois, sur internet notamment. Je vais donc vous raconter ici ce que moi j’en sais, ce qui m’a été transmis par ma famille et ce que j’ai moi-même trouvé dans les archives. Ce ne sera donc pas exhaustif, je ne compte pas vous dévoiler toute l’histoire.
J’ai toujours entendu parler de Régis, ou plutôt d’André, son fils, qui avait perdu très jeune son père, qui était un résistant. C’était une histoire que ma grand-mère racontait à ses enfants et que mon père nous a raconté. Germaine, la femme de Régis, était la cousine de ma grand-mère.
Tout naturellement, quand j’ai commencé la généalogie et que j’en suis arrivé à cette branche de la famille, j’ai voulu en savoir plus. J’ai commencé par les dates « classiques » de naissance, mariage et décès. Sur son acte de naissance figurait la date et le lieu de son décès. Je demande par formulaire électronique l’acte à la mairie concernée et je le reçois rapidement. J’apprends qu’il est « mort pour la France » et que c’est un jugement du tribunal civil de Lyon qui certifie que cet « individu de sexe masculin dont l’identité n’a pu être établie » est bien Régis. De là tout va découler.
Je me suis renseignée sur le fort de Côte-Lorette, à Saint-Genis-Laval, où il est décédé le 20 août 1944. Cette date est restée gravée dans les mémoires comme celle du « massacre du fort de Côte-Lorette » lors duquel 120 prisonniers (juifs et résistants) du fort Montluc ont été fusillés par les Allemands. J’ai donc cherché son dossier de détenu au fort Montluc aux archives départementales du Rhône (les dossiers sont en ligne) et j’ai eu la chance de trouvé sept pages. Voici ce qu’on y apprend.
Régis était homme d’équipe en gare de Villefranche-sur-Saône (Rhône). Il a été arrêté le 8 mars 1944 à 9 heures à Gleizé (où il demeurait avec sa femme et son fils) pour « activité anti-allemande ». La Société des Chemins de Fer français a demandé à Mr de Brinon, délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés, des nouvelles de Régis ainsi que de ses deux camarades arrêtés le même jour. Mr de Brinon a transféré la demande le 3 avril au préfet du Rhône qui lui a répondu le 22 mai que les trois étaient détenus au fort Montluc. On y trouve une autre lettre, de sa femme cette fois, qui demande également après son mari le 7 avril. Lorsque j’ai découvert pour la première fois ce document j’ai été très émue et je le suis encore aujourd’hui. Elle a même « joint un timbre pour la réponse ». Elle aura la même réponse froide et informative : son mari est détenu au fort Montluc sous l’inculpation d’activité anti-allemande.
Enfin, on trouve la fiche de renseignements de Régis où l’on retrouve sa situation familiale, sa profession, la date, le lieu et la raison de son arrestation ainsi que là où il est détenu. En bas de cette page, à la main, quelques mots écrits après son décès : « reconnu par sa femme […] rasoir mécanique rendu ».
Il aurait pu ne pas s’engager dans la Résistance ; il aurait pu ne pas être dénoncé ; il aurait pu ne pas être chez lui lors de la rafle des Allemands à son domicile ; il aurait pu ne pas faire parti du convoi pour Saint-Genis-Laval ; le fort Montluc aurait pu être libéré quelques jours plus tôt ; il aurait pu revoir son fils âgé seulement de sept ans. Mais l’Histoire en a voulu autrement et il est « Mort pour la France ». Cette mention qui peut paraitre anodine ou ridicule pour certains a pris tout son sens pour moi grâce à Régis.
Je me suis déjà rendu au fort Montluc, en 2010. J’avais même été « interviewée » ce jour-là (https://www.lepoint.fr/culture/lyon-la-prison-montluc-rend-hommage-a-jean-moulin-et-aux-enfants-d-izieu-18-09-2010-1238141_3.php). J’aimerais chercher davantage dans les archives. J’aimerais me rendre au fort de Côte-Lorette, peut-être un jour de commémoration. J’aimerais voir son fils et arrêter de repousser cette rencontre.
Il me reste tant de choses à découvrir par moi-même.
C’était mon histoire de Régis Tournebize.